Théâtre et Émotions
Très souvent, je demande au début de l’année aux participants pourquoi ils viennent dans un cours de théâtre… Ou alors “Qu’attendez-vous exactement des cours de théâtre ?”
Et la plupart du temps, j’ai cette réponse qui me revient : “Je voudrais travailler sur mes émotions”.
Cette réponse n’est pas « erronée » (sous une certaine approche que nous verrons après), mais j’aimerais tout de même attirer votre attention sur deux points :
- Tout d’abord, on ne peut pas “travailler” des émotions… Une émotion ça se vit, ça vient à nous, ça nous traverse de manière incontrôlable. C’est le corps qui réagit à un fait extérieur. Donc… quand bien même, au théâtre, vous « simulez la joie » sur scène, en réalité, la véritable émotion qui est en vous / qui vit en vous sur ce même moment, ce n’est peut-être pas vraiment la joie (et ça peut être à l’inverse un gros stress d’être vus des autres…). Voilà pourquoi je dis qu’au théâtre, on ne peut pas travailler à proprement parler sur les émotions. L’émotion, vous ne la contrôlez pas, elle est là en vous, elle survient, elle vous habite. Et c’est ce qui m’amène à une deuxième réflexion…
- Quand on commence le théâtre, on parle souvent de “simulation d’émotions”. Et je souhaiterais corriger cela aussi. Il est en réalité moins profond au théâtre d’interpréter en se disant “là je dois pleurer” ou encore “là je dois exploser de rire” (etc.). Non. Vous devez avant tout vous concentrer sur la situation, sur ce qui se passe autour de vous, et non pas “en vous” – lorsque vous vous dites “je vais rire”, ce n’est qu’un dialogue intérieur avec vous-même. Alors que si vous vous concentrez réellement sur la situation, cette dernière vous amènera à une véritable profondeur d’interprétation. Et là, étant attentifs à ce qui se passe “AUTOUR” et non pas “DANS”, vous vivrez bien plus intensément et justement votre interprétation. C’est ce que j’appelle passer de la superficialité du mental qui dicte “fais comme ceci, fait comme cela”, à la profondeur du corps qui reçoit et qui réagit en étant attentif à son environnement, à ce qui se passe autour de lui.
En résumé, avec le théâtre et au sein des exercices en eux-mêmes ou des scènes que l’on joue, on ne TRAVAILLE pas SUR ses émotions (et on apprend encore moins à les contrôler). Ce n’est ni le but ni l’objectif.
Cependant (et je reviens sur le fait qu’il n’est pas erroné de mettre en lien théâtre et émotions), on ne peut pas dire non plus que l’on ne ressent aucune émotion quand on est dans un cours de théâtre… Et OUI ! On VIT des émotions, mais surtout on les vit EN CONSCIENCE. Et c’est ÇA l’Émotion au théâtre.
Dans un processus thérapeutique, le fait que le théâtre nous fasse VIVRE des émotions a une réelle importance. Pour ce point là, je ne vais pas parler des exercices en eux-mêmes, où on rentre parfois dans plusieurs “casquettes émotionnelles”, mais plutôt de l’atelier théâtral d’une manière générale :
Dans un atelier théâtre (alors qu’on se mette d’accord, quand il s’agit de faire des “cours loisirs”, pas des “cours professionnalisants”), vous VIVEZ essentiellement DEUX émotions “fortes”, deux émotions “maîtresses” : La Joie et la Peur :
- Lorsque le cours met l’accent sur des improvisations, ces dernières ont souvent tendance à amener le rire – non seulement dans le public mais aussi ceux sur scène, qui parfois ne résistent pas à leurs propres bêtises (et le pire, c’est qu’au cours de mes ateliers, on a même testé avec les élèves de faire des impros dites “sérieuses”, et donc qui ne devaient pas faire rire, mais ça ne loupait pas, on se marrait quand même…). Et quand, pendant presque 1h d’impro, vous passez essentiellement votre temps à rire des bêtises des autres que vous regardez – ou de vous-même – je ne peux que vous affirmer qu’un atelier Théâtre vous plonge dans beaucoup de joie et que ça libère donc une jolie quantité d’hormones du bonheur !
- Néanmoins, parfois avec JOIE, il y a aussi PEUR qui aime bien pointer le bout de son nez dans les cours, à travers le stress, la petite boule dans le ventre à l’idée de monter sur scène, etc. Elle vient à vous parce qu’à un moment ou à un autre de l’atelier, vous allez devoir être vus, vous montrer vous, et être en quelques sortes “à nu” face au regard des autres. C’est ce qui fait aussi naître chez vous des petites doses d’adrénaline.
Ce qui est génial, c’est que la joie vient compenser les petits moments de peur que l’on peut ressentir lors d’une séance, afin de trouver un bel équilibre général dans nos émotions internes (à savoir que même avec elle, il arrive parfois que certains soient encore très stressés, alors imaginez si vous n’aviez pas eu quelques hormones de bien-être sécrétés pour vous accompagner !). En résumé, le stress généré est toujours “moins pire” grâce au rire, à la bonne ambiance d’un cours, et surtout à une belle dynamique de groupe.
En cela, je peux donc dire que l’on “travaille” bien sur nos émotions dans le théâtre, dans le sens où on les VIT pleinement et que, inconsciemment, de nouveaux schémas comportementaux se mettent en place parce qu’on prend régulièrement l’habitude de se mettre en posture stressante, dans une zone d’inconfort, mais qui reste néanmoins minimisée par le cadre joyeux et léger de l’atelier. A l’inverse, on ne “travaille” pas ses émotions dans le sens où on apprendrait soit-disant à les contrôler consciemment.
C’est bien l’activité THÉÂTRE en elle-même, le COURS qui nous permet l’exercice de gestion du stress, et non pas les exercices proposés au sein de l’atelier.
À bientôt !
Écrit le 10 Mai 2021